Hommage à Pierre Mauroy, par Martine Aubry, le 13 juin 2013 à Lille


Hommage à Pierre Mauroy, Jeudi 13 juin 2013, Hôtel de Ville,

Discours de Martine Aubry, Maire de Lille, Présidente de Lille Métropole Communauté urbaine

Chère Gilberte,

Monsieur le Premier Ministre,

Chers amis,

Pierre Mauroy nous a quittés ce vendredi 7 juin. Nous sommes réunis aujourd’hui dans sa ville après qu’au nom de la Nation, mardi, le Président de la République lui a rendu hommage, à l’Hôtel des Invalides. François Hollande a salué avec des mots justes la vie et l’engagement d’un homme d’exception « qui a fait l’histoire de son pays ».

Ce matin, nous voulons prolonger cet hommage, dans ce Nord qui l’a vu naître en 1928, ici à Lille que Pierre Mauroy a tant aimée. Lille à qui il a tant donné.

Lille et toute la région sont dans l’émotion et dans la tristesse. Nous voulons tous ici exprimer notre respect et notre amitié à celui qui a été, au-delà d’un remarquable Premier Ministre, un exceptionnel Maire de Lille et un grand Président de la Communauté Urbaine.

Nous entourons sa famille et nous partageons sa douleur.

Je veux saluer avec toute l’affection que je leur porte

Gilberte Mauroy, son épouse

Fabien, son fils et Isabelle, sa belle-fille

Laura et Alexis, ses petits-enfants, et leurs conjoints

Eglantine, son arrière-petite-fille

Ses frères et soeurs, et toute sa famille.


Pierre Mauroy est aujourd’hui dans nos coeurs. Je sais, Pierre, que tu serais touché de voir cette foule rassemblée pour t’accompagner et te rendre hommage.

Nous sommes très heureux que dans cette cérémonie, aussi solennelle que chaleureuse, le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault, nous fasse l’honneur de sa présence. Nous savons les liens étroits qui l’unissaient à Pierre Mauroy.

Merci à Lionel Jospin, ancien Premier Ministre, mais aussi Premier Secrétaire du Parti Socialiste, lorsque Pierre Mauroy était à Matignon, de sa présence.

Merci au Président du Sénat, Jean-Pierre Bel ; au Président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone, ainsi qu’aux nombreux parlementaires, représentants les partis républicains, d’être ici parmi nous.

Merci au Premier Secrétaire du Parti Socialiste, Harlem Désir

Je salue chaleureusement :

Les anciens ministres du gouvernement de Pierre Mauroy, et ses anciens collaborateurs qui lui font l’amitié de leur présence.

Je salue également :

Les personnalités de la ville.

Les Maires de nos villes jumelles.

Les personnalités étrangères

Les autorités civiles, Monsieur le Préfet de Région, cher Dominique Bur

Les autorités militaires, Messieurs les Généraux.

Les autorités religieuses. Et particulièrement vous, Monseigneur Ulrich, qui allez célébrer les funérailles en la Cathédrale de la Treille.


Au nom des députés et sénateurs du Nord-Pas de Calais,

Au nom de Daniel Percheron, Président, et des élus du Conseil Régional,

Au nom de Patrick Kanner, Président, et des élus du Conseil Général du Nord,

Au nom de Dominique Dupilet, Président, et des élus du Conseil Général du Pas de Calais,

Au nom de tous les élus et anciens élus de la Ville de Lille, des Maires et des élus et de la Communauté Urbaine, et des élus de l’Eurométropole, je voudrais vous dire combien nous sommes heureux que vous soyez tous ici avec nous, pour exprimer votre respect et votre amitié à Pierre Mauroy.

Quant à moi, ai-je besoin de rappeler toute l’admiration que j’avais pour Pierre, et toute l’affection et la complicité que nous partagions. Lui qui m’a fait ce magnifique cadeau de m’appeler à ses côtés à Lille puis de lui succéder.

Permettez-moi de m’adresser plus personnellement à tous les Lillois, à tous les habitants du Nord-Pas de Calais, et plus particulièrement à celles et ceux qui se sont manifestés par leur présence par milliers, par leurs témoignages, à celles et ceux qui nous regardent. Sachez que Pierre Mauroy serait touché d’une telle vague d’émotion et de soutien.


Pierre Mauroy a écrit « C’est au Nord que je dois d’être l’homme que je suis ».

Plus que jamais le Nord se sent orphelin. Mais tellement fier de compter Pierre Mauroy parmi ses géants.

Pierre n’a jamais oublié d’où il venait. Toute sa vie il est resté fidèle et attaché aux terres qui l’ont vu grandir, aux valeurs qu’il en a héritées.

Ses valeurs lui venaient de l’enfance. De sa mère, aimante, qui lui transmet le sens de la famille. De son père, directeur d’école, qui lui inculque la laïcité.

Ses valeurs, c’étaient bien sûr celles de la République – liberté, égalité, fraternité –. C’étaient aussi la solidarité et le courage, qu’enfant, il observe chez les paysans de l’Avesnois – le « pays des pâtures » de sa mère – et chez les ouvriers du Hainaut – le pays de son père.

Cette solidarité si chère aux hommes et aux femmes de notre région, attachés à l’action collective, notre région où le syndicalisme a joué un rôle majeur, et où sont nées les mutuelles et les coopératives.

Ce courage, celui qui déplace les montagnes, celui qui bouscule la réalité lorsqu’elle se rebiffe face à notre volonté. Ce courage qui imprègne le Nord-Pas de Calais où rien n’a été donné, où tout a été conquis par le travail et la ténacité des hommes et des femmes.

Cette solidarité, ce courage animaient Pierre Mauroy. Ces valeurs, acquises dans ses jeunes années, il les retrouve dans le socialisme. C’est à Haussy, petit village du Valenciennois, qu’il rencontre le socialisme. Il est alors un adolescent révolté par les terribles conditions de travail dans les usines. Il a été porté par le formidable espoir de changement qu’inspire le Front Populaire et enthousiasmé par l’humanisme de Léon Blum.

Ces valeurs ne l’ont plus jamais quitté, elles l’ont guidé toute sa vie. Ne répétait-il pas lui-même : « A gauche je suis, à gauche je reste ».

Mais Pierre Mauroy ne voulait pas seulement se révolter, gronder, s’insurger. Toujours, il a ressenti le besoin et la volonté de changer les choses, et donc d’agir.

Toute sa vie, Pierre Mauroy a été un militant. Lors de l’hommage aux Invalides, le Président de la République l’a rappelé en citant Kipling : « Dans ce monde, il y a ceux qui restent chez eux, et puis il y a les militants ».

Le militant, c’est à dire l’homme qui se bat pour défendre ses idéaux et changer la société.

Ce militant, Pierre Mauroy l’est resté dans tous les postes qu’il a occupés – je devrais dire habités – au sein du mouvement socialiste : de la section des Jeunesses Socialistes de Cambrai à la tête du Parti Socialiste, jusqu’à l’Internationale Socialiste.


Militant, Pierre Mauroy l’est resté également tout au long de sa vie politique, de ses mandats locaux jusqu’à Matignon.

C’est aussi cela qui en fait un grand homme d’Etat. De ceux qui ont marqué l’histoire de la République, occupant les plus hautes fonctions sans compromettre leurs valeurs. De ceux qui ont su transformer la société et changer la vie des Français.

Les Français n’oublieront pas que Pierre Mauroy fut le premier Premier Ministre de la gauche de la Vème République.

Pierre Mauroy avait une vision et même des rêves. Il le disait : « Pourquoi n’aurait-on pas des rêves ? ». Mais il était réaliste et s’efforçait de changer la réalité lorsqu’elle résistait.

Il a su, à la fois, bien gérer la France et mener de grandes réformes. Pierre Mauroy fut l’homme du réalisme économique qui a lutté contre l’inflation, qui a redressé notre industrie, qui a instauré l’impôt sur les grandes fortunes ; celui qui a fait le choix décisif de l’Europe et du Système Monétaire Européen.

Réaliste, il se devait de l’être car il n’y a pas d’action efficace et durable sans sérieux.

Et ce qui était essentiel pour lui en politique, c’était de respecter ce pour quoi, et ceux par qui il avait été élu. Jamais il n’a oublié ce qui l’a mené au socialisme et à la vie politique.

François Mitterrand l’avait choisi d’ailleurs pour sa proximité avec le peuple, pour ses valeurs et sa volonté de changement.

Et les réformes sociales furent majeures. Qu’on se souvienne de la cinquième semaine de congés payés, de la retraite à 60 ans, des lois Auroux, de la réglementation du travail précaire…

Certains pensaient, quand il fut nommé à Matignon, qu’il était un homme du passé, parce qu’il avait déjà plus de 35 ans d’engagement politique derrière lui.

Quel beau démenti leur a-t-il apporté, lui qui a profondément modernisé la société !

Qu’on se souvienne de l’abolition de la peine de mort, des lois sur l’égalité Homme-Femme, de la dépénalisation de l’homosexualité, du remboursement de l’IVG, ou encore de la légalisation des radios libres…

Personne, en revanche, ne s’est étonné que le grand élu local qu’il était, ait porté avec passion les lois de décentralisation pour donner enfin des pouvoirs aux territoires.


A une période où les Français doutent de la politique, Pierre Mauroy nous a montré comment allier une vision et des idéaux avec le réalisme et l’action.

La vision provenait d’une analyse fine de la société, de lectures et de débats, de recherches et d’études, qu’il avait d’ailleurs su organiser à travers la Fondation Jean Jaurès.

La mise en oeuvre de cette vision, il la voulait pour le présent mais aussi pour l’avenir. Il avait foi dans les hommes pour changer la société. Il avait foi surtout dans la jeunesse.

Parce qu’il savait qu’un pays qui ne croit pas en sa jeunesse n’a pas d’avenir.

Parce qu’il voulait l’émancipation de chaque jeune par l’éducation bien sûr, lui, le fils d’instituteur de la IIIème République qui choisira de devenir enseignant. Mais aussi par l’éducation populaire, lui qui créa très jeune – il n’a alors que 22 ans – la Fédération Léo Lagrange qui plus de 60 ans après, demeure un espace d’épanouissement et d’enrichissement pour la jeunesse.

La mise en oeuvre de cette vision, il la défendait aussi à travers le monde où il oeuvrait pour la liberté, la démocratie et la justice sociale. Il la concrétisait ici, à travers des jumelages, « ces mouvements du coeur, de l’intelligence et de la raison » comme il les appelait.

En Europe, pour consolider la paix et construire l’Union des hommes et des femmes. En Israël et en Palestine, où il avait voulu des villes jumelles pour contribuer à la paix.

En Afrique, où il était accueilli en ami et où les liens avec Saint Louis du Sénégal sont si forts encore.

A travers sa présidence de l’Internationale Socialiste, il a poursuivi l’oeuvre de Willy Brandt de partager les valeurs socialistes à l’échelle du monde.

A la mondialisation économique, il opposait une mondialisation politique et humaniste.


Pierre Mauroy ne faisait qu’un. Il ne changeait pas de discours ou de projets en fonction des mandats qu’il remplissait.

Il détestait plus que tout la démagogie et le populisme. Aussi a-t-il déployé ici, chez lui, toutes ses qualités qu’il a mises au service de la France.

Ici :

  • dans son Nord natal et sa région qui l’ont forgé
  • à Lille, « sa » ville de coeur qui lui doit tant
  • dans cette grande métropole qu’il a rassemblée et ouverte sur l’Europe.

Mais peut-être me suffirait-il d’énumérer tous les mandats qu’il a occupés pour que chacun mesure tout ce que Pierre Mauroy a apporté au Nord-Pas de Calais :

Conseiller général du canton du Cateau-Cambrésis

Premier Adjoint au maire de Lille, Augustin Laurent

Maire de Lille

Député du Nord

Premier Président du Conseil Régional

Député européen

Président de la Communauté urbaine de Lille

Sénateur du Nord, ce fut d’ailleurs son dernier mandat.

Souvent il me disait que le mandat de Maire était celui qu’il avait préféré. Et je le savais si fier de s’inscrire dans les pas de la prestigieuse lignée des grands maires socialistes de notre ville, que furent Gustave Delory, Roger Salengro et Augustin Laurent.

Comment ne pas se sentir émue aujourd’hui, ici dans cet Hôtel de Ville où il a travaillé à façonner le visage et l’avenir de Lille ?

Lille, « la belle endormie » telle qu’on la nommait dans les années 70, Pierre l’a fait entrer dans la cour des grandes métropoles européennes.

Je l’ai dit, Pierre Mauroy était un visionnaire. Pierre aimait rêver. Pour Lille et pour le Nord, il avait tant de rêves. Et ce qui le rend exceptionnel, c’est qu’il a su en réaliser beaucoup.

Pour Lille et la métropole, Pierre Mauroy a nourri les plus grandes ambitions et a mené les plus rudes batailles car il les savait décisives pour l’avenir.

C’est celle du Tunnel sous la Manche arraché à Margaret Thatcher. Pierre racontait avec humour : « J’ai compris que j’avais gagné, non pas le jour où Margaret a dit oui, mais le jour où elle a cessé de me dire non ».

C’est celle du TVG qui devait contourner notre ville et passer « dans la pampa » comme il le disait. Sa devise était alors : « Ce train, Lille ne doit pas le rater ! ».

C’est celle aussi d’Euralille, ce véritable défi urbanistique et économique qui lui a valu tant de débats et qui a propulsé Lille vers le nouveau millénaire.

C’est celle de la constitution d’une métropole rassemblée et rayonnante, au service des habitants. Il a mis toute son énergie pour sortir des querelles de beffroi au profit d’une ambition partagée pour l’ensemble des 87 communes de notre métropole.

C’est celle, encore, de la fondation de notre Eurométropole, avec nos amis flamands et wallons, aujourd’hui première institution transfrontalière reconnue par l’Union Européenne. Un combat qu’il portait depuis les années 70 en Européen convaincu.


Je voudrais enfin parler plus intimement de l’homme. Beaucoup l’ont fait depuis l’annonce de sa disparition.

Pierre, c’était certes un grand destin, comme je l’ai rappelé. Mais c’était aussi un homme proche des gens. Et cela n’avait rien de contradictoire, nous le savions tous ici.

Car pour chaque Lillois, chaque Nordiste, Pierre Mauroy est et restera un « géant ».

Ce qui n’empêchait pas les mêmes de le surnommer affectueusement « gros quinquin ». Loin de s’en offusquer, il s’en amusait lui même.

Ces deux expressions résument, à la fois, tout le respect, mais aussi tout l’attachement qu’il inspirait à chacun. Pour nous tous, Pierre Mauroy restera une carrure qui en imposait par

sa prestance.

Pour nous tous, Pierre Mauroy restera un regard. Peut-être sévère au premier abord derrière ses épaisses lunettes. Mais dans lequel se lisaient toute la force de ses convictions et la détermination qui l’animait.

Pour nous tous, Pierre Mauroy restera une voix. Grave. Forte. Posée. Une voix qui résonne encore dans ces murs. Une voix dont il savait jouer, d’un registre tendre jusqu’à des colères homériques, dont certaines étaient feintes pour mieux convaincre ses interlocuteurs. Mais c’était aussi la voix d’un conteur hors pair, qui racontait à merveille la grande Histoire sans oublier « la petite », à travers des anecdotes savoureuses et souvent pleines d’humour.

Pour nous tous enfin, Pierre Mauroy restera cet homme aux mains inoubliables. Ces longues mains qui montraient à elles seules sa finesse et son élégance. Ces mains dont les mouvements amples et aériens rythmaient ses discours. Ces mains qui montraient le sens et qui exprimaient son accord ou sa désapprobation, lorsqu’il les frottait furieusement l’une contre l’autre.

Nous sommes nombreux ici à avoir appris et compris le langage de ses mains. Ses mains qui ne trompaient pas, tout comme lui.


Aujourd’hui, comme vous, ma chère Gilberte, comme les vôtres, chacun a le sentiment d’avoir perdu un grand homme.

Les Lillois, un maire d’exception.

Les habitants du Nord-Pas de Calais, celui qui a toujours cru en eux et leur est resté fidèle.

Les socialistes, une référence et un éternel militant.

Les Français, un Premier Ministre qui a porté le changement.


De Pierre Mauroy, on n’oubliera rien : ni les idées, ni les combats, ni l’homme.

L’empreinte qu’il laisse est immense. Mais peut-être devons-nous d’abord nous souvenir de sa capacité inaltérable à ne jamais baisser les bras et à toujours aller de l’avant pour porter le progrès, cette belle idée qui dit que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, pour tous et pour chacun.

François Mitterrand aimait dire : « Il faut garder la nuque raide quand on sait que ce que l’on fait est juste ». C’est ce qu’a fait Pierre Mauroy tout au long de sa vie.

Oui Pierre, nous resterons, comme tu l’as si bien exprimé et comme tu nous l’as finalement demandé « les héritiers de l’avenir ».

Au nom de tous, comme je l’ai fait en janvier 2012, lorsque nous étions nombreux autour de toi à l’Opéra pour te rendre hommage, alors que tu quittais la vie politique, je voudrais te redire : « Merci Pierre, ne t’inquiète pas, on continue ».

Martine Aubry