“Faciliter le travail des journalistes en respectant la liberté de la presse”
Didier Willot
Journaliste à la rubrique Économie de l’hebdomadaire Le Point depuis près de dix ans le 10 mai 1981, je connaissais Pierre Mauroy depuis plus longtemps encore. Notre première rencontre a en effet eu lieu au cours de l’automne 1965 lorsque Pierre est venu à Maubeuge défendre la première candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle. En tant que jeune militant à la section SFIO de ma ville natale, j’ai eu l’occasion de bavarder longuement avec lui après le meeting. Le courant est tout de suite passé. Nous avions en commun d’être tous les deux originaires de ce qu’il appelait le Sud du Nord, c’est-à-dire de l’Avesnois, et d’être partisans de la rénovation du programme et des méthodes de notre parti. “Viens travailler avec nous ! me dit-il.” Alors qu’étudiant à Paris à l’ESSEC, la plupart de mes camarades de promotion me sollicitaient d’adhérer au mouvement des Jeunes Giscardiens qui avait alors le vent en poupe, je n’ai pas hésité une seule seconde. Malgré les critiques qui pleuvaient alors sur la SFIO, il me paraissait évident que les idées socialistes avaient vocation à succéder au gaullisme que je trouvais alors largement suranné.
Électeur pour la première fois de ma vie à l’élection présidentielle de 1965 (la majorité civile était alors à 21 ans), c’est donc avec enthousiasme que je glissais dans l’urne, à chacun des deux tours, un bulletin au nom de François Mitterrand. Malheureusement ma prophétie a mis un peu plus de temps que prévu à se réaliser. Les événements de mai 1968 et le dernier sursaut du gaullisme sous son avatar giscardien en ont décidé ainsi.
Une longue période pendant laquelle mes convictions n’ont jamais fléchi. En 1971, je figurais sur la liste de Pierre Forest, maire de Maubeuge depuis la Libération, en tentant de le convaincre de prendre le tournant de l’union de la gauche alors en plein débat dans notre département du Nord où les rivalités entre socialistes et communistes restaient légendaires. Et, en s’appuyant sur cette tradition, il me bat de justesse l’année suivante lors du vote pour l’investiture socialiste aux élections législatives de 1973. Finies les études ! Il me faut alors gagner ma vie. Désireux de devenir journaliste, j’ai l’opportunité d’entrer au magazine Le Point au moment de sa création. Et je comprends très vite que, sans statut professionnel, il m’est impossible d’envisager de conduire une carrière d’homme politique : Le Point ne me rémunère pas pour faire de la politique à Maubeuge !
C’est alors qu’au printemps de l’année 1974 Pierre m’informe que Pierre Bérégovoy manifeste un intérêt pour la 23e circonscription du Nord où il s’agit de reprendre le siège détenu par le candidat communiste qui a battu Pierre Forest en 1973. “Peux-tu l’aider ? me demande Pierre.” Ce que j’ai fait de mon mieux pendant près de trois ans en l’accompagnant sur le terrain pratiquement tous les week-ends. La suite est connue : la trahison de Pierre Forest qui a finalement pris la tête de la liste de la droite a fait perdre les élections municipales à la liste d’union de la gauche conduite par Pierre Bérégovoy. Évidemment, le Parti communiste, qui sentait son siège de député menacé, n’a guère fait campagne. Ce qui lui a permis de conserver son mandat de député, en 1978, lors des élections législatives de l’année suivante et de contraindre Pierre Bérégovoy à quitter le Nord.
Tout au long de cette période, je participais régulièrement à Paris aux réunions des amis de Pierre Mauroy et, plus précisément, de ce qui allait devenir, au lendemain du congrès de Metz, le courant B. Ma spécialité : l’économie. Comme de nombreux autres, je rédigeais des notes sur l’évolution de la situation économique et sur les idées de réformes à mettre en œuvre une fois la gauche
victorieuse. Un travail qui, je l’espère, a été utile. Aussi je n’ai pas été trop étonné lorsqu’à la fin de l’année 1981, Pierre Mauroy m’a demandé de le rejoindre à Matignon pour occuper les fonctions de chef du service de presse à son cabinet de Premier ministre. Au-delà des liens de confiance que nous entretenions depuis une quinzaine d’années, je pense que je lui apportais ma connaissance des journalistes parisiens et du monde des médias.
Pendant les quelques mois où j’ai occupé cette fonction, je n’ai jamais ménagé ma peine pour défendre l’action de Pierre Mauroy et les réformes lancées par le premier gouvernement de gauche de la Ve République malgré une presse globalement hostile. La plupart des journalistes, quel que soit le journal auquel ils appartenaient (beaucoup m’en ont fait la confidence), pensaient au fond d’eux-mêmes que l’expérience de la gauche au pouvoir, comme les précédentes, ne durerait pas et ils guettaient, de plus ou moins bonne foi, le moindre faux pas, la moindre faiblesse ou la moindre contradiction. Mais il fallait tenir, argumenter, argumenter encore et argumenter sans cesse… en appliquant au mieux les deux grands principes que Pierre avait fixés à toute notre équipe : faciliter le travail des journalistes et respecter la liberté de la presse. Une déontologie forte que nombre d’observateurs de la vie publique nous ont finalement reconnue, une fois que Pierre Mauroy a quitté Matignon.