Un instant de ferveur européenne


Au lendemain de l’hommage officiel de la nation à Jacques Delors et à quelques semaines des élections européennes, Gilbert Veyret, adhérent de l’Institut Pierre Mauroy et ancien membre du cabinet de Pierre Mauroy à Matignon, nous rappelle l’engagement constant de Jacques Delors en faveur de la construction européenne. Il nous invite également à prendre conscience de l’enjeu important que représentent les progrès de l’intégration communautaire pour l’avenir de notre pays et à nous mobiliser lors de la prochaine campagne électorale en faveur des listes favorables à l’approfondissement de l’Union européenne.


Instant de ferveur européenne autour du catafalque de Jacques Delors ou simple hommage à un homme qui incarnait un passé prometteur mais en panne d’avenir ? Les prévisions électorales pour le renouvellement du Parlement européen n’incitent pas à l’optimisme. L’abstention et le vote pour l’extrême droite seront largement majoritaires.

L’Europe nous a habitués à ces séquences périodiques de désamour, de défiance et à son rôle privilégié de bouc émissaire. En 1977 déjà, dans son livre Plaidoyer pour l’Europe décadente, Raymond Aron écrivait « Faut-il dire perte de confiance ou simplement autocritique ? Faut-il admirer la capacité des Européens de se condamner eux-mêmes, d’étaler aux yeux du monde les défauts de la société, de les amplifier au point de perdre le sens de l’imperfection propre aux hommes et à leurs institutions. » Or l’Europe ne comportait encore que neuf, puis douze États membres et les quelques dérives bureaucratiques n’étaient pas encore installées. Ou bien, l’opinion publique déplorait-elle déjà cette perte d’influence historique de l’Europe, selon la formule d’Edmund Burke, citée par Aron, « The time of the sophists, economists and calculators has come and the glory of Europe is extinguished for ever ». Dit plus simplement : je ne comprends rien à leur jargon et, de toute façon, c’était mieux avant.

Mon avant-dernier entretien avec Jacques Delors eut lieu au moment du référendum institutionnel de 2005 lors d’un meeting du Mouvement Européen en présence de Josep Borrell, actuel haut-représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne Il était très pessimiste sur l’issue du scrutin et assez lucide sur les causes. Il est vrai que ce projet constitutionnel était particulièrement mal fichu : on l’a mesuré très vite ! Mais ce n’était pas l’essentiel. Chacun pouvait reprocher à l’Europe de ne rien faire pour lui. L’extrême droite affirmait depuis longtemps que l’Europe en faisait plus « pour le Zambèze que pour la Corrèze. Nos sociétés de consommateurs ont généralisé cette défiance. « I want my money back » disait déjà Mrs Thatcher.

Lamédiocre astuce de procédure ayant permis de contourner la volonté populaire exprimée lors de ce référendum aura largement contribué au discrédit actuel des institutions européennes et aux probables abstentions massives, lors des prochaines élections du Parlement. La grande sophistication des institutions et des procédures européennes suscite des frustrations et les frustrés ne votent plus ou votent pour le Rassemblement National (RN). Le formidable sursaut de solidarité européenne avec l’Ukraine aurait pu lui donner ce nouveau souffle autour d’une cause très populaire, sauf chez les poutiniens d’extrême droite et d’extrême gauche. Mais la guerre semble perdue et l’opinion s’est lassée : « Encore du pognon perdu qui aurait pu financer nos retraites ou nos hôpitaux ! »

Que faire pour relancer l’idée d’une Europe puissante et solidaire et la faire avaliser par les électeurs J’ai trouvé excellent le discours d’Emmanuel. Macron lors de l’hommage à Jacques Delors aux Invalides. Sans doute manquait-il un peu de souffle ou de conviction. L’Europe ne se prête malheureusement plus au lyrisme et à l’enthousiasme. « En cette période où le désenchantement démocratique vient s’ajouter au piétinement des politiques, appeler à réaliser les ambitions de l’Europe; la prospérité synonyme de solidarité, le dialogue social et la participation des citoyens, le modèle européen maintenu au prix des adaptations nécessaires, la mise en œuvre d’un modèle de développement durable respectueux des temps de l’homme et des exigences de la nature, sans oublier nos devoirs envers le monde, ce qui implique puissance, influence et générosité, écrivait Jacques Delors en 2003, dans une formule superbement synthétique. Un concentré de Delors !

La campagne pour les élections européennes se situera -t-elle à ce niveau ? J’ai plus que des doutes. Même si les premières interventions de Raphaël Glucksmann et les prises de position de Pascal Canfin, notamment vont dans le bon sens. Ah ! Ils ne sont pas dans le même camp ! C’est bien un des problèmes de ces positionnements politiques qui ne correspondent plus à des clivages réels. Les citoyens n’y retrouvent pas les valeurs qui leur permettraient de se déterminer. Il faudra commencer par convaincre ceux qu’on connaît encore d’aller voter. Ce n’est pas gagné !

Gilbert Veyret.