Au lendemain de l’hommage officiel de la nation à Robert Badinter, Bernard Roman, membre du conseil d’administration de l’Institut Pierre Mauroy et ancien président de la commission des Lois à l’Assemblée nationale, nous rappelle l’engagement constant de Robert Badinter en faveur des progrès de la justice dans notre pays. Au-delà de l’abolition de la peine de mort votée par le gouvernement de Pierre Mauroy dès l’automne 1982, il dresse également un inventaire détaillé de l’action inlassable conduite par Robert Badinter, comme ministre mais aussi comme sénateur, pour la modernisation de notre Code pénal, l’amélioration des conditions carcérales, la reconnaissance du droit des victimes et l’indépendance de la magistrature…
Hommage à Robert Badinter
Un immense défenseur des causes justes, un humanisme incarné
Robert Badinter nous a quittés le 9 février et nous nous sentons orphelins.
Orphelins d’une conscience républicaine qui n’aura cessé, sa vie durant, d’être le défenseur des causes justes.
Robert Badinter a exercé durant trente ans des fonctions politiques, ministre de la Justice de 1981 à 1986, président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995 puis sénateur jusque 2011. Pourtant, il ne se définissait pas comme tel : « je ne fais pas de carrière politique. Je suis un monomane de la justice, pas un animal politique » déclarait-il en 1982.
L’un des plus beaux discours entendus au Palais Bourbon
Mais cette conscience républicaine, cette volonté farouche de combattre tout ce qui pouvait être contraire aux valeurs républicaines et aux droits de l’homme, Robert Badinter les a pourtant mises au service de la France pour nous léguer en héritage un bilan qui s’inscrit comme un gage de fierté dans l’action de la gauche.
En juillet 1981, dans sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, Pierre Mauroy esquissait les projets de son gouvernement dans le champ de la justice. Robert Badinter, son garde des Sceaux, dira lui-même que ce jour était pour lui son premier jour en politique aux côtés d’un Premier ministre qu’il qualifiait lui-même d’ami fidèle et sincère.
Ironie de l’histoire, en 2011, trois décennies plus tard, les deux hommes quittaient ensemble le palais du Luxembourg le dernier jour de leur vie politique pour aller commémorer le 30ème anniversaire de la loi d’abrogation de la peine de mort. Quel magnifique symbole !
Trente années d’un engagement marquées pour beaucoup par son bilan au ministère de la Justice. En prenant ses fonctions, Robert Badinter affirme sa priorité : « le rétablissement d’un État de droit digne de la justice française en abolissant la peine de mort ». C’est bien sûr ce que l’on retient d’abord de l’action de Robert Badinter. L’abolition de la peine de mort, votée en trois mois, le 9 octobre 1981 dans un climat d’opposition de l’opinion publique que l’on a oublié aujourd’hui mais qui vaut à son auteur des campagnes d’opposition violentes. Le discours de Robert Badinter à la tribune de l’Assemblée nationale restera à jamais l’un des plus beaux discours jamais entendus au Palais Bourbon.
Mais ce serait une erreur de réduire son bilan à ce projet de loi historique car l’action de Robert Badinter à la chancellerie a été celle d’un grand ministre réformateur et visionnaire toujours porté par cet humanisme incarné. C’est cet humanisme, son ancrage dans la devise de la république qui conduit très vite Robert Badinter à enfin dépénaliser l’homosexualité. Ce sont ces mêmes valeurs qui le conduisent à supprimer les tribunaux d’exception et les quartiers de haute sécurité dans les prisons et à poser les premières pierres d’une justice plus indépendante avec des magistrats mieux reconnus dans leur statut.
Un inlassable combat contre la peine de mort dans le monde
Robert Badinter se veut aussi être l’artisan d’une meilleure reconnaissance des victimes avec l’extension de l’aide judiciaire aux plus défavorisés et l’indemnisation des victimes.
Enfin, comment ne pas souligner l’action du garde des Sceaux dans sa volonté farouche de redonner du sens à la peine, de rechercher tous les moyens de réduire les détentions provisoires en dénonçant avec courage face à l’opinion la « prison criminogène » et le taux de récidive. C’est le sens de la création des premières peines de travaux d’intérêt général.
Robert Badinter est aussi le premier garde des Sceaux à chercher à améliorer les conditions carcérales. « La peine la plus lourde pour les détenus, c’est la privation de liberté et chacun doit se souvenir que chaque condamné qui entre en prison en sortira un jour. Le sens de la prison, c’est aussi de les y préparer », déclarait-il aux représentants du personnel pénitentiaire en 1982.
Robert Badinter quitte le gouvernement en 1986 pour assurer la présidence du Conseil constitutionnel durant neuf ans. En 1995, devenu sénateur, il ne cessera de poursuivre son action pour conforter et amplifier les mesures engagées place Vendôme entre 1981 et 1986.
Sur tous les chantiers, Robert Badinter pèsera de tout son poids : constitutionnalisation de l’interdiction de la peine de mort, réforme de la procédure pénale, présomption d’innocence, statut de témoin assisté, présence de l’avocat à la première heure, collégialité des juridictions.
En quittant le Sénat, Robert Badinter poursuivra inlassablement ses combats, notamment pour l’abrogation de la peine de mort à travers le monde.
Aujourd’hui, nous sommes orphelins, orphelins d’une conscience, de l’homme qui la portait chevillée au corps, de celui qui ne voulait pas de carrière politique et qui pourtant, laisse à la politique le plus beau des héritages : celui d’un immense défenseur des causes justes.
Bernard ROMAN
Ancien président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale