En 1981, mon arrivée au cabinet du Premier ministre est une heureuse surprise que je n’avais jamais imaginée. Certes j’étais au « cabinet régional » du Nord-Pas de Calais depuis sa création en 1974, recruté par Michel Delebarre, et j’étais professeur à la Faculté de droit de Lille après y avoir été étudiant. Or, justement, j’avais fait les démarches pour exercer sous d’autres cieux et j’avais obtenu ma nomination pour l’Université d’Abidjan à la rentrée 1981. Dès lors, le 10 mai n’avait aucune incidence sur mes projets. Je terminais mon année universitaire à Lille et je partais en vacances en famille, en Grèce. À la mi-août, en rentrant à l’hôtel, j’étais averti qu’il fallait que j’appelle Michel Delebarre à Matignon : « On a besoin de toi », me dit-il ! « Tu iras plus tard à Abidjan… ».
Et voilà comment, début septembre 1981, je me retrouvais adjoint à Claude Blondel qui avait la charge du secteur éducation et formation. Le travail ne manquait pas : un énorme secteur (enseignement primaire, secondaire, supérieur, recherche, formation professionnelle…), capital pour la gauche, où les attentes des personnels et la puissance des syndicats (en particulier la FEN où Pierre fut responsable de l’enseignement technique) étaient considérables. Sous la direction de Claude Blondel, je débroussaillais des dossiers, je recevais des interlocuteurs de toute sorte et nous assurions les liaisons avec la rue de Grenelle. Il se trouve que j’avais connu Alain Savary comme président de la région Midi-Pyrénées (quand nous faisions la tournée ou des réunions des régions socialistes) et les membres de son cabinet devinrent rapidement des amis.
La rentrée scolaire est toujours un moment difficile en France. Faire rentrer en classe le même jour 12 millions d’élèves et 800 000 professeurs, c’est une gageure : une mécanique très complexe et, naturellement, des classes sans maître et des effectifs surchargés çà et là, des médias qui guettent les bavures, rien que d’ordinaire. Mais en 1982, on assiste à la première rentrée préparée par la gauche et elle est sans doute la plus ratée de toutes… Parant au plus pressé, on a pris d’excellentes mesures en 1981-1982, sans se soucier suffisamment de leurs effets pervers : créations massives de postes (30 000, en raison de besoins criants), qui tendent à vider les académies du Nord, les enseignants s’empressant d’occuper les postes créés dans les académies ensoleillées ; introduction du temps partiel (une grande nouveauté, qui complique la gestion des postes), interdiction de recruter des non-titulaires (très attendue, mais impossibilité de boucher les trous)… Les conséquences sont fâcheuses pour Pierre Mauroy car l’académie de Lille est très touchée : il nous faut recevoir de multiples délégations, très remontées. Pierre s’impatiente et exige des mesures
immédiates que l’on met au point avec le recteur de Lille (par exemple l’appel sans délai aux maîtres auxiliaires…) et d’autres à plus long terme pour que pareille mésaventure ne se reproduise pas (ex : institution d’un groupe permanent de préparation de la rentrée). Cet épisode a-t-il jeté une ombre dans les relations, d’une grande confiance, entre Pierre Mauroy et Alain Savary ? Quelques semaines plus tard, ce dernier révélait à son cabinet qu’il venait de refuser l’ambassade de France à Madrid, que le Gouvernement lui proposait.
C’est la fameuse promesse du candidat Mitterrand de créer un Grand SPULEN (Service public unifié et laïque de l’éducation nationale) qui m’a valu de quitter le cabinet de Pierre Mauroy. En effet, à l’été 1982, Alain Savary rend compte dans une communication au conseil des ministres de l’état d’avancement de ce dossier. Mitterrand réécrit lui-même le communiqué publié le 4 août (une date symbolique) : aucune allusion à sa promesse ni à la laïcité. L’après-midi même, Alain Savary s’entretient à Matignon avec Pierre pour tirer les leçons de la position du Président. Je reconduis Alain Savary à sa voiture : là, dans la cour, il me demande de prendre la direction des affaires générales de son ministère, en charge de l’enseignement privé. Bigre ! Ce qui sera fait en octobre. Et voilà comment j’ai été mêlé aux multiples épisodes des négociations, des propositions, de la mise au point du « projet Savary », de son retrait par le Président suivi de la démission du Gouvernement. Cette période fut pour moi aussi l’occasion de tenir informé Michel Delebarre à Matignon et d’assister, lors de la discussion du projet de loi au Parlement, à un moment douloureux entre Pierre Mauroy et Alain Savary (l’annonce des amendements Laignel le 22 mai 1984).
Je conserve une admiration infinie pour Pierre Mauroy et Alain Savary qui, dans ces tempêtes, ont su par leur droiture être des hommes d’État.