Notre institut vient de subir une perte cruelle avec le décès de Jean Michel Rosenfeld, l’un de ses administrateurs depuis sa création.
Lyne Cohen-Solal, qui nous représentait à ses obsèques qui se sont déroulées le 7 mars, a prononcé un magnifique hommage qui exprime fort bien ce que nous ressentons tous en ce triste moment.
Nous vous communiquons ce très beau texte ci-après.
Adieu l’ami.
M Thauvin
Pour Jean-Michel Rosenfeld le 8 mars 2023
Cher JeanMich’,
Le plus souvent quand l’un de notre groupe était triste, tu venais doucement nous raconter une histoire juive mille fois entendue certes, mais qui nous faisait quand même sourire. Ou bien, tu nous parlais avec un terrible accent polonais d’une promenade qu’on ferait un jour dans la « rie » de Ménilmontant… Aujourd’hui que nous sommes si tristes, nous devons trouver en nous de quoi esquisser un sourire en mesurant combien nous avons été heureux de croiser dans notre vie l’homme que tu fus, une personnalité de ta qualité, un ami comme toi. Et nous consoler, un peu, car la vie sait quelquefois offrir des rencontres, belles rencontres qui deviennent de très beaux cadeaux.
Je crois que c’est Ruyard Kipling qui écrivait en substance : « il existe deux sortes de citoyens, ceux qui rentrent chez eux et les militants ». De toute évidence, Jean-Michel Rosenfeld était un militant, un vrai, un militant dans l’âme, un militant mobilisé et jamais fatigué car il avait tant à faire… Toute sa vie, il a défendu des valeurs essentielles, il a mené ses combats. Toute sa vie, où qu’il se trouve et encore il y a quelques semaines à peine…
Ses valeurs, vous les connaissez puisque vous êtes venus jusqu’ici, elles se nommaient : liberté, universalisme, justice, solidarité, respect de l’autre.
Ses combats, c’était pour la Gauche, pour la culture, pour le dialogue et pour la paix.
Une grande part était héritée de sa famille, ces courageux juifs polonais, venus se réfugier dans la France de l’après-affaire Dreyfus et s’installer à Paris. Ils travaillaient dur dans le « schmatess », les vêtements, ou la mode dirait-on aujourd’hui. Ils avaient été casquettiers, fourreurs ou couturiers en atelier. Je le précise alors que se termine une prestigieuse Fashion Week, car Paris ne serait sans doute pas une telle capitale de la mode si tous ces artisans n’avaient pas permis l’essor des multiples ateliers de la rive droite.
De ces ascendants, Jean-Michel gardait une mémoire vive et curieuse, il nous apprenait leur histoire, la vie dans les ghettos, leurs habitudes et leurs malheurs. Cette histoire tragique, il la vivait en nous en parlant. Moi, la séfarade, j’ai beaucoup appris de nos conversations et de la fréquentation du Cercle Bernard Lazare. Sur la langue yiddish, dont il avait retenu quelques phrases et qu’il fredonnait dans les berceuses, mais aussi sur les idées héritées du Bund, sur les ashkénazes en général…
Enfant pendant la guerre, Jean-Michel a 5 ans quand son père part se battre en 39. Fait prisonnier, ce dernier reviendra, très affaibli, en 45.
Pendant ces années dont l’horreur reste indicible, Jean-Michel et sa mère continuent de vivre à Paris dans le 10e. Il restera marqué toute sa vie par l’infamie de l’étoile jaune cousue à gauche sur sa poitrine. Il se qualifiait de « miraculé » ayant échappé à plusieurs rafles dont celle du Vel’d’hiv. Avec fidélité et respect, nous nous sommes retrouvés pendant des années, mi-juillet, pour rendre hommage à tous les disparus de la Shoah. Jean-Michel y tenait, même s’il avait du mal à contenir ses émotions car cette étoile jaune continuait de l’accompagner…
Quand nous nous sommes croisés pour la première fois vers 1978, Jean-Michel assumait d’importantes responsabilités à la Maison de la Culture de Créteil, poste dont il était très fier, qu’il adorait. Sensible à ce langage universel, ses liens avec la culture et ceux qui la servent, étaient et sont restés multiples, intenses, Lui était l’ami de Manu Dibango comme de Talila, du monde du théâtre. Et il parlait avec une immense fierté, des belles réussites d’Estelle, sa fille, de l’autre côté de la Manche.
À cette époque, il militait déjà au PS. Lors du congrès de Metz, comme toujours, il se rangea parmi les défenseurs de la social-démocratie. Nous nous sommes mieux connus après la victoire de 1981 quand nous faisions partie du cabinet de Pierre Mauroy à Matignon. Ces années de travail intense, presque de vie en commun, autour de cet homme d’État attachant, dans ces années vibrantes, restèrent pour Jean-Michel, et pour nous tous comme une période de vie chaleureuse, passionnante, inoubliable, finalement !
Jean-Michel Rosenfeld y prit sa place et devint un conseiller indispensable et un précieux chargé de missions, d’un dévouement constant à Pierre Mauroy. Jean-Michel voyait dans ce responsable politique du Nord un modèle de militant infatigable mais aussi un mentor, puis un ami. On le qualifiait de « grognard » de Pierre Mauroy, ce qui était vrai. Les liens entre ces deux hommes étaient très forts, pas seulement politiques et fondés sur une confiance totale, absolue jusqu’au bout.
C’est lui, avec la complicité de Jacquot Grunewald, qui fit inviter Mauroy au repas de Tribune Juive fin 1982 après l’attentat de la rue des Rosiers. Le retentissement en fût si grand que François Mitterrand lui-même s’y rendit l’année suivante. Ainsi fut mis en place le « Dîner du CRIF », devenu une exigence dans l’agenda officiel, un peu comme le Salon de l’Agriculture !
Avec lui, nous avons aussi accueilli de nombreuses personnalités, entre autres, Shimon Peres, je me souviens des discussions et plaisanteries avec Jean-Michel dans l’antichambre de Matignon. Une autre fois, dans une suite du Crillon, la rencontre Mauroy-Arafat, au milieu d’une nuée de photographes, malgré les services de sécurité sur les dents…
Nos habitudes de travail se prolongèrent au-delà de l’Hôtel Matignon pour servir la gauche, à Lille, au PS, avec les villes jumelées et l’internationale Socialiste à travers le monde, avant la Fondation Jean Jaurès de retour cité Malesherbes.
Nous étions devenus des globe-trotteurs de Dakar à Stockholm, de Berlin à New York, de Rio à Tel-Aviv, de Londres à Abidjan, cette Afrique que Jean-Michel aimait tant.
Nous avons vécu ensemble ces périodes, je parle au nom de Michel, Thierry, Angelina, Jocelyne, Claudette, Gilles, Frédéric, Brigitte, Luc et quelques autres… Il nous en reste des dizaines d’images et des anecdotes innombrables avec Jean-Michel. Et, dans nos cœurs des souvenirs précis : cette grande culture qui lui était propre, son incroyable mémoire qui pouvait le rendre mélancolique, sa tendresse pour ceux qu’il aimait, surtout sa fidélité à ses convictions.
Pour lui, héritier des bundistes, la gauche restait un repère exigeant avec la solidarité, l’égalité, la justice, le respect des autres, des plus jeunes et des plus humbles.
En commençant, je décrivais Jean-Michel Rosenfeld comme un grand et fidèle militant de cette gauche, de son histoire, de ses idées généreuses, de ses combats toujours en cours, je souhaiterais le remercier encore car il a su s’affirmer aussi comme un militant infatigable, à la fois farouche et délicat, de quelque chose de plus grand que nous, qui survit à nos vies et que l’on nomme l’Amitié.