« En politique, la relation ne s’arrête pas toujours à la fonction »
Jean-Michel Rosenfeld
Quarante ans déjà ! Je me souviens bien entendu du 10 mai 1981. Je n’étais pas à la Bastille, j’étais rue Solférino dans les bureaux du porte-parole du candidat François Mitterrand devenu alors président de la République. Je regardais par la fenêtre cette rue noire de monde qui chantait « Changeons la vie ici et maintenant… » Ce soir-là, Pierre Mauroy m’avait demandé de l’accompagner sur les radios et les chaînes de télévision. Sur Antenne 2, plus exactement j’ai vu des techniciens me montrer Jean-Pierre Elkabbach qui avait l’air très triste tandis qu’eux souriaient.
Je me posais la question : Que vais-je devenir ? Dans le bureau du porte-parole qu’il occupait pour la dernière fois je me suis trouvé seul avec le futur Premier ministre. Il m’a regardé il m’a simplement dit : « Alors on continue ! » Je n’en croyais pas mes oreilles et j’ai appris, le lendemain, que mon nom avait été donné afin que je puisse entrer à l’Hôtel Matignon.
Lorsque ce 21 mai à 15 h, je franchis pour la première fois les portes du 57, rue de Varenne, je ne pus m’empêcher de penser à mon arrière-grand-père porteur d’eau à Lublin et à mes humbles ancêtres juifs d’Europe centrale qui avaient choisi la France au début du XXe siècle. Impossible de les oublier en cette journée si marquante pour ma vie.
Au côté de Brigitte Douay et de Monique Vignal, je suivais les problèmes de presse et, parallèlement durant la campagne législative de juin 1981, j’étais, comme m’avait surnommé Franz-Olivier Giesbert « l’advenced man », c’est-à-dire l’homme qui, 24 heures à l’avance, venait préparer la venue du Premier ministre pour les meetings. Entre autres, le réglage de micro qui me valut le surnom de certains, dans l’entourage présidentiel, du sobriquet de « Monsieur micro ».
J’avoue que je vivais hors du temps au sein d’une grande parenthèse car j’avais conscience de la précarité de cette situation et le souvenir de mes origines ne m’a jamais fait basculer du côté des parvenus. Mais je dois souligner que, parmi les moments très fort que j’ai connus durant ces trois années passées à Matignon c’est celui où, au mois de février 1983 sur l’aéroport de Cayenne, j’ai vu de très loin l’avion dans lequel se trouvait et Klaus Barbie, le boucher de Lyon, l’assassin de Jean Moulin et l’instigateur de la déportation des enfants d’Izieu. Ce fut pour moi un moment inoubliable et je suis éternellement reconnaissant à Pierre Mauroy de m’avoir faire participer à cette opération. Trois jours auparavant, j’étais en effet parti avec Michel Pélissier, le chef de cabinet du Premier Ministre, en Guyane afin de l’organiser. Il allait enfin passer devant la justice française.
Après ces trois formidables années à Matignon où les liens d’amitié, je n’ai pratiquement plus quitté Pierre Mauroy jusqu’à son décès le 7 juin 2013 tout en entretenant des liens avec celles et ceux qui ont vécu cette belle aventure. Ce qui me conforte dans l’idée que souvent dans le monde politique la relation ne s’arrête pas à la fonction. »