Denise Cacheux est une des fidèles parmi les fidèles de Pierre Mauroy ; adjointe à la mairie de Lille, elle est ensuite devenue députée du Nord, questeure de l’Assemblée Nationale ; elle a effectué plusieurs mandats, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être députée honoraire.
Ardente défenseure de la cause des femmes, elle continue à militer activement au PS, et dans les associations à caractère social ; Sa gentillesse sa bonne humeur et son rire communicatifs, sont ses meilleures armes pour faire valoir et aboutir ses convictions
La passion de Pierre Mauroy pour le Parti Socialiste n’a pas seulement concerné la force politique que représentait le Parti, l’institution où il a exercé toutes les fonctions politiques. Le parti pour lui, c’était aussi, et d’abord, ses militants.
Je voudrais donc ajouter à tous les témoignages de ce colloque mon témoignage sur Pierre Mauroy dans ses rapports avec ceux qui font le Parti Socialiste, c’est-à-dire ses militants.
Car Pierre était toujours un militant au milieu des militants. Le jeune socialiste qui a épousé une militante socialiste, connue sur un air d’accordéon lors d’un bal des Jeunesses Socialistes, a partagé avec elle le goût des autres, lui sur la scène publique et elle dans l’ombre.
Pierre a été un leader socialiste mais il a été d’abord un militant et malgré toutes ses responsabilités, il est resté un militant parmi les militants, toujours présent, simple, chaleureux.
Les militants Lillois des années 1970 ont en mémoire le camarade premier adjoint puis Maire de Lille partageant avec eux un repas tout simple chaque samedi soir.
A l’époque, la grosse section de Lille était partagée en comités de quartier qui organisaient chaque samedi soir, à tour de rôle, une « ducasse à pierrot ». C’était un repas tout simple et peu coûteux (la plupart des militants vivaient chichement), un plat de haricots avec une saucisse (qui remplaçait alors le « pierrot » c’est-à-dire le moineau attrapé dans les arbres autrefois). On passait la soirée, avec un camarade à l’harmonica ou à l’accordéon, et on discutait.
Pierre parlait avec des mots simples, assis au milieu des camarades, il attendait modestement son tour de parole. Il se laissait interpeller, répondait, il inspirait certes du respect aux militants, mais était proche. Il avait avec eux une façon d’être tellement simple et familière qu’il les mettait tous à l’aise, par la chaleur et la sympathie qu’il dégageait. Il venait à pied aux réunions de comités, souhaitait les anniversaires. Il partageait avec ses camarades les temps forts comme les petits instants de vie quotidienne et pratiquait l’art de l’amitié vraie, sincère, la connivence, la convivialité, s’intéressant à la santé, et à la vie familiale et professionnelle de chacun. Quand il présentait ses voeux aux militants, il ne se contentait pas d’un discours. Il serrait toutes les mains, passait du temps avec eux, avec toujours un mot gentil, attentionné pour chacun, chaleureux, taquin. Pour les socialistes Lillois, c’est leur « grand Quinquin », leur camarade. Il ne passait pas une braderie de Lille, où Monsieur le Maire faisait un grand tour avec les journalistes, sans venir s’asseoir quelques heures à midi pour une « moule-frites » avec ses militants.
Malgré sa carrure, nationale et internationale, et ses talents d’orateur, il restait proche des militants les plus humbles. A côté des meetings aux salles combles (il ne manquait aucun rendez-vous fédéral, convention, congrès, université de rentrée) où ses discours donnaient de la force aux militants, réchauffaient les soirs difficiles et avaient une force de conviction qui indiquaient un chemin, suscitaient l’engagement, il payait aussi de sa personne dans les moments collectifs difficiles. Alors qu’il était Président de Région au moment de la crise de la sidérurgie, il est allé courageusement à Denain à la fermeture d’Usinor soutenir les camarades désespérés, et, pris à partie, conspué, il est venu leur dire qu’il les comprenait. Il a vécu comme une épreuve terrible les vagues successives de désindustrialisation et fait face avec courage et sans démagogie, attentionné, accessible, prenant du temps pour écouter et répondre, toujours chaleureux et affable.
Début 81, malgré ses responsabilités nationales, il a donné de la force et du souffle aux meetings de campagne locaux. J’ai un souvenir personnel de son respect des valeurs qui m’a marquée. J’étais à l’époque déléguée nationale du Parti (« action féminine » ! ») et secrétaire fédérale (Nord) mais aussi adjointe auprès de lui aux Fêtes, Cérémonies, animation et protocole à la Mairie de Lille.
Paul Quilès, en prévision de notre victoire prévue le 10 mai, m’avait dit qu’il préparait une grande fête à la Bastille et j’avais demandé à Pierre Mauroy si je pouvais prévoir un tonneau et un orchestre en Mairie, après la proclamation des résultats. Il m’a alors répondu non, il faut le faire à la Fédé avec les militants, la Mairie est la maison commune de tous les Lillois, y compris de ceux qui vont être battus.
Grand élu cumulard à un point aujourd’hui inimaginable (mais c’était avant la décentralisation), et même sous les ors de la République, il n’a jamais oublié, comme certains, sa solidarité avec les prolétaires trop souvent absents aujourd’hui dans notre discours et nos pratiques socialistes.
Après la liesse du 10 mai 1981, ça a été la joie et le bonheur de voir Pierre Mauroy devenir chef du gouvernement. Le dimanche 24 mai, il est de retour à Lille. Il y a bien des manifestations officielles d’hommage de la ville et des Lillois (concert de l’harmonie municipale, dépôt de gerbe à Salengro, allocution du premier Ministre, vin d’honneur, bal populaire) dans un Hôtel de ville bourré à craquer) ; Pierre Mauroy a voulu le soir, tard, une rencontre avec les militants à la Foire Internationale de Lille pour un banquet régional des deux Fédés du Nord et du Pas-de-Calais. Nous lui ferons alors, malgré ses réticences, un vivat flamand. Et quand il est entré à Matîgnon, les militants y sont entrés avec lui. Avec Gilberte, il les recevait régulièrement, dans les jardins (sur ses propres deniers) prenant toujours un peu de son précieux temps pour venir simplement , accessible, attentionné, fraternel, soit pour une apparition rapide, soit pour partager une tarte.
Avant que cela soit à la mode, dans la novlangue médiatique, d’appeler les gens connus par leurs initiales, les militants disaient P.M. : au choix Pierre Mauroy ou Premier Ministre voire Première Mascotte du PS.
Tous les militants du Nord ont des témoignages, des anecdotes, des souvenirs avec Pierre Mauroy qu’ils considéraient comme un frère, un père, voire un grand-père. Les jeunes socialistes du Nord le considèrent toujours comme un modèle qui incarnait pour eux l’authenticité en politique et le volontarisme, la fidélité à ses convictions, valeurs et engagements. Ils disent « Pierre Mauroy, c’était servir et pas se servir ».
Dans ses dernières années, Pierre évoquait avec nostalgie la façon dont les rapports militants évoluaient. « Avant aux enterrements des camarades, il y avait toujours quelqu’un pour représenter la direction du parti. Cela a malheureusement disparu depuis belle lurette ». Au congrès de Rennes, je l’ai entendu regretter les déchirements entre militants, non pas sur des questions de ligne politique mais sur des stratégies de carrière personnelle. « Avant, on restait après les réunions à discuter, on allait boire un coup ensemble. Maintenant, c’est chacun pour soi. On est loin de cette solidarité ouvrière dans laquelle j’ai grandi ». Il évoquait avec regret les traditions de sa jeunesse : « autour de nous, il n’y avait que des ouvriers, les gens vivaient, tous pareils, dans les mêmes conditions. Ils partageaient le même espoir de pouvoir faire vivre dignement leur famille. Je me sens très attaché à ces gens ».
Le vendredi 7 juin 2013 au matin, c’est un grand choc chez les militants. Pierre Mauroy est mort. Bien souvent en politique, c’est plus facile d’aimer les morts. Mais pour Pierre Mauroy cela a été une sincérité générale, un hommage unanime, pas un hommage formel, un hommage général, vrai, massif, spontané, fraternel. Les courriers, les messages militants affluent à la Fédé. La grande salle de la Fédé était remplie à craquer, de toutes les générations de militants venus lui rendre hommage, un hommage historique mais aussi un partage d’admiration, d’affection, de témoignages, de souvenirs, d’anecdotes, de chagrin. Les militants du Nord se sont relayés toute la nuit pour veiller son cercueil dans la Mairie de Lille. Plus de deux mille militants sont venus en Mairie pour saluer sa dépouille et déposer des roses rouges. Immense hommage, simple, en habits du dimanche ou de tous les jours.
A ses obsèques, une foule de militants sanglotaient sous la pluie. J’ai vu pleurer des militants communistes. Beaucoup de militants, venus de tout le département, voire de plus loin, des militants de base, sont venus lui rendre hommage. Après l’hommage en Mairie, où le premier violon de l’orchestre National de Lille est venu jouer « le temps des cerises », quand sa dépouille est sortie, les applaudissements ont jailli, imprévus et spontanés.
Le courrier des lecteurs de la Voix du Nord, dans les jours qui ont suivi sa mort, est éloquent. Tous ceux qui se revendiquent socialistes (mais aussi beaucoup d’autres) font état de la chaleur de leurs contacts avec Pierre Mauroy, du temps qu’il entretenait avec eux « loin des beaux discours et des grandes-théories ».
Dans le Nord, qui que nous soyons, il a marqué nos vies de militants par son parcours, ses convictions toujours affirmées dans ses plus hautes fonctions, par ses talents de raconteur d’histoires et d’orateur, par sa vie, par sa chaleur humaine, par sa simplicité, par le chemin qu’il nous a montré, par sa volonté permanente d’entraîner et de rassembler, par son optimisme face aux défaitistes, par sa force et sa fidélité aux valeurs, son courage dans toutes les circonstances, ses qualités de rassembleur, à la fois social-démocrate, jauressien et guédiste, une référence, un modèle, un « homme humainement formidable » (Jacques Delors).
Ce que nous pouvons faire de mieux pour lui être fidèle, c’est de continuer.
A nous, militants socialistes, de rester « les héritiers de l’avenir »
Denise CACHEUX