Après 40 ans, les souvenirs de ces deux années sous l’autorité de Pierre Mauroy sont toujours aussi forts. En 1981, j’étais au Commissariat au Plan, dans l’équipe du SAS (Service des affaires sociales) que dirigeait Bernard Brunhes. Bien avant le mois de mai, nous travaillions (René Cessieux, Christian Rollet, Patrice Corbin et moi) pour l’antenne Solférino. Dès le 11 mai, et avant même la
constitution du cabinet, nous avons traversé la rue de Varenne et, nous installant dans l’ancien bureau de Raymond Soubie, avons préparé, sous l’autorité de B. Brunhes les premières mesures sociales qui devaient être présentées au premier conseil des ministres du gouvernement Mauroy.
Quelques jours après notre installation, dont nous savions qu’elle ne serait peut-être pas définitive, Pierre Mauroy fait le tour de Matignon, et trouvant une équipe au travail, félicite chacun d’entre nous avec la chaleur et la bienveillance qui le caractérise et c’est ainsi que j’ai fait sa connaissance.
L’ambiance à Matignon était très studieuse et sérieuse, chacun convaincu qu’il portait, dans les projets dont il était responsable, l’avenir de la France. Les relations étaient plus que cordiales, même si les combats entre financiers et dépensiers étaient vifs et quotidiens. Membre d’une des équipes dépensières, j’étais régulièrement accusée de mettre la France dans le mur.
Les relations avec Pierre Mauroy étaient simples, directes, empreintes de confiance et de solennité, il nous rappelait souvent notre rôle collectif historique.
Deux souvenirs de mes relations avec Pierre Mauroy :
J’étais en charge du secteur Fonction publique et le grand projet était le Code la fonction publique nationale et le code de la fonction publique territoriale. Je l’accompagnais souvent dans ses réunions avec les ministres concernés : Gaston. Deferre, Anicet Le Pors, Jean Le Garrec et, bien sûr, les représentants du Budget. Ce fut une des réformes qui suscita le plus grand nombre de réunions interministérielles, d’après le Secrétariat général du gouvernement. Pierre Mauroy souhaitait, avant chaque réunion « au sommet », connaître les points de vue et les revendications des autres ministères. Ce que je lui rapportais au mieux de mes échanges avec les différents cabinets. J’ai le souvenir de longues heures de négociations avec les syndicats de fonctionnaires, où il faisait preuve de patience et de diplomatie. Notre récompense, entre deux séances, était une longue promenade, dans les jardins de Matignon jusqu’à la rue de Babylone.
En charge également du secteur Droits des femmes, je dus gérer, à sa demande, deux ministres en désaccord sur l’étendue des réformes pour l’égalité et surtout sur l’une des 110 propositions de F. Mitterrand : le remboursement de l’IVG. Georgina Dufoix y était très réticente, craignant un impact négatif sur les électeurs, plusieurs conseillers de Matignon et de l’Élysée, également. Yvette Roudy, très combative sur le sujet, considérait, à tort, que Pierre Mauroy ne portait pas ses propositions comme prioritaires. Elle sollicitait très souvent des réunions avec le Premier ministre, qui me demandait régulièrement de la voir dans le salon d’attente attenant à son bureau, avant qu’il ne la reçoive, pour modérer son éventuel courroux. Même arbitrées et adoptées dans un climat tendu, les mesures pour les droits des femmes ont constitué une très grande avancée.
Bien sûr, ces années 1981-1983 sont restées inoubliables, notamment grâce aux exceptionnelles qualités d’écoute et de bienveillance de Pierre Mauroy qui se montrait toujours reconnaissant envers l’efficacité des « petites mains ».
Après 1983, nous nous retrouvions tous avec plaisir et complicité au pot Mauroy à la cité Malesherbes, quel qu’ait été le parcours de chacun après son départ de Matignon.