Quarante ans après le départ de Pierre Mauroy de l’Hôtel Matignon, Les éditions La Bruyère ont publié un ouvrage intitulé L’homme que ma vie a rencontré. Préfacé par la journaliste Michèle Cotta, présidente de la Haute-Autorité de l’audiovisuel pendant le premier septennat de François Mitterrand, il présente sous la forme d’un entretien conduit par Emmanuel Provin, conseiller municipal de Bar-sur-Aube, ancien membre de plusieurs cabinets ministériels de gauche entre 1999 et 2016, le long parcours de Jean-Michel Rosenfeld auprès de Pierre Mauroy. L’histoire singulière d’un homme qui a accompagné Pierre Mauroy pendant 37 ans tout au long de sa carrière à Matignon, au Parti socialiste, à l’Internationale socialiste et à la Fondation Jean-Jaurès…
À cette occasion, Ghislaine Toutain, secrétaire de l’Institut Pierre Mauroy, a rédigé un texte dans lequel elle montre que les mémoires de Jean-Michel Rosenfeld constituent une source d’information importante sur la vie d’un parti qui a joué un rôle de premier plan dans l’histoire politique récente de notre pays. Elles offrent également une clé de compréhension concevaient la manière dont les hommes politiques concevaient à l’époque de Pierre Mauroy leur engagement au service de leurs concitoyens.
L’homme que ma vie a rencontré
Il y a quarante ans, le 17 juillet 1984, Pierre Mauroy remettait officiellement sa lettre de démission à François Mitterrand, à la suite du retrait du projet de loi Savary. Une page se tournait dans la vie de l’ancien Premier ministre mais aussi dans l’histoire du parti socialiste français.
Dans ce contexte, le livre d’entretiens entre Emmanuel Provin et Jean-Michel Rosenfeld[1], qui raconte « une histoire de 37 ans aux côtés de Pierre Mauroy », celle de Jean-Michel Rosenfeld[2], « loyal, fidèle et dévoué » dans toutes les fonctions que Pierre Mauroy a occupées, nous fait revivre la vie et l’action de l’ancien Premier ministre mais aussi l’histoire de la gauche à laquelle il a participé, de l’après-guerre à aujourd’hui.
Emmanuel Provin[3], qui avait treize ans en 1981, a fait la connaissance de Jean-Michel Rosenfeld à la section du 20e arrondissement de Paris au milieu des années 2000, « camarade incontournable » que « toutes et tous consultaient ». Plus tard, notamment au cours de ces entretiens qui se sont tenus essentiellement par téléphone pendant la crise sanitaire, Emmanuel Provin réalisera que les femmes et les hommes politiques « qui s’imbriquent, s’opposent, se repoussent et qui finalement construisent l’histoire », ne sont pas seuls. Ils ont près d’eux des êtres loyaux et fidèles qui, dans l’ombre, écriront avec eux « la grande histoire ». Pour Emmanuel Provin, tel a été le rôle de notre ami Jean-Michel auprès de Pierre Mauroy, « fidèle parmi les fidèles… gardien de la mémoire d’un homme, cette figure politique de l’époque où le parti socialiste venait de renaître de ses cendres et existait ».
Au fil des pages, Jean-Michel, en évoquant sa vie près de l’ancien Premier ministre, parle de celle de Pierre Mauroy en rapportant des anecdotes étonnantes, et évoquant des rapports inédits entre Pierre et certains ministres ou encore les tensions dans les allées du pouvoir que l’on découvre avec intérêt, comme « la fidélité » de Pierre Mauroy envers François Mitterrand. Il développe longuement les difficultés de la démission de Pierre Mauroy actée le 17 juillet 1984, lui et le président de la République « tous les deux debout pendant quelques instants, l’un et l’autre, sans rien nous dire, à nous regarder la gorge serrée », selon le récit de Pierre au retour de l’Élysée devant ses collaborateurs.
Puis ce sera le retour à Lille, le Sénat, l’Internationale socialiste, où Jean-Michel l’accompagnera dans nombre de ses déplacements, la création de la fondation Jean Jaurès, où il sera son conseiller spécial. On découvre aussi les relations ou les jugements que Pierre Mauroy portait notamment sur Jack Lang, Pierre Bérégovoy, Jean-Pierre Chevènement, Lionel Jospin, Laurent Fabius, Georgina Dufoix, Edith Cresson, Ségolène Royal, François Hollande. Toute l’histoire récente du PS est ainsi écrite sous un nouvel angle riche d’enseignements sur le parti socialiste et plus généralement sur le monde politique.
Le décès de Pierre Mauroy le 7 juin 2013 signifiera pour Jean-Michel, que Pierre désignait comme « son ami de toujours »[4], « une partie de sa vie qui est partie ». À la fin du livre, Jean-Michel Rosenfeld répond sans détour aux questions d’Emmanuel Provin sur la situation délétère du parti socialiste sans réel leader et de la classe politique dix ans après. À ses yeux, le PS de son époque est comme la SFIO de Gaston Defferre ! Il pense notamment – sans pouvoir répondre à sa place – que Pierre Mauroy « n’aurait pas soutenu Emmanuel Macron, un libéral qui ne dit pas son nom ». « Social-démocrate de gauche », comme le définit Jean-Michel, il aurait certainement approuvé l’analyse que fait l’Institut Pierre Mauroy du résultat des élections législatives du 7 juillet 2024 qui traduisent « un retour de la confiance des Français pour la social-démocratie », les élus socialistes et divers gauche étant majoritaires au sein de la coalition du nouveau Front populaire.
Et, dans le livre, c’est Pierre Mauroy qui a le dernier mot : Jean-Michel reconnaît que s’il n’a jamais été sur le devant de la scène, c’est en raison de sa proximité avec Pierre Mauroy, l’homme que sa vie a rencontré, qui a fait qu’il était considéré, même professionnellement… mais pas en tant que Rosenfeld.
Une approche inédite, originale, instructive, voire « émouvante », comme la qualifie Michèle Cotta qui a préfacé le livre.
Ghislaine Toutain
[1] L’homme que ma vie a rencontré, par Jean-Michel Rosenfeld et Emmanuel Provin, Éditions La Bruyère, mai 2024, 218 pages, 22 euros ; disponible auprès d’Emmanuel Provin : l’hommequemavie@gmail.com ; sur les plateformes de librairie en ligne, aux Éditions La Bruyère
[2] Décédé le 4 mars 2023, un hommage lui a été rendu lors de ses obsèques par Lyne Cohen-Solal, hommage publié sur notre site. Bernard Derosier lui rendra également hommage, lui aussi publié sur notre site, lors de la cérémonie organisée à Paris en sa mémoire en mars 2024 par sa fille Estelle.
[3] Emmanuel Provin, docteur en droit public, ancien chef de cabinet de la ministre des outre-mer George Pau-Langevin, conseiller municipal de Bar-sur-Aube.