Maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil, Pierre-Emmanuel Guigo vient de publier aux Éditions Passés Composés un ouvrage intitulé Pierre Mauroy, le dernier socialiste. Après avoir consacré une biographie remarquée à Michel Rocard en 2020, l’auteur a souhaité s’intéresser, cette fois-ci, au parcours de cette autre figure majeure du socialisme français du XXe siècle. En effet, ce livre retrace la longue carrière du jeune militant socialiste du Nord de la France qui, dans l’exercice de ses nombreux mandats politiques, comme maire de Lille et comme Premier Ministre notamment, est devenu l’une des personnalités politiques de notre pays qui incarnent la capacité du mouvement socialiste à exercer le pouvoir et à s’y inscrire dans la durée.
A cette occasion, l’Institut Pierre Mauroy et les Éditions Passés Composés ont demandé à Arthur Le Meur, un jeune blogueur passionné d’histoire, de réaliser un entretien avec Pierre-Emmanuel Guigo dans lequel l’auteur évoque les raisons qui l’ont poussé à écrire cette biographie mais surtout la place essentielle qu’a occupée Pierre Mauroy dans l’histoire du socialisme français dans la seconde moitié du XXe siècle.
L’ouvrage Pierre Mauroy, le dernier socialiste est disponible aux éditions Passés Composés à partir du 9 octobre.
« Maire de Lille, Premier ministre : Pierre Mauroy » par Pierre-Emmanuel Guigo
À quelle occasion et pourquoi avez-vous décidé d’écrire une biographie de Pierre Mauroy ?
En réalité, j’avais rédigé ma thèse sur Michel Rocard. Cela s’inscrivait donc dans la continuité de son travail avec cette envie constante d’étudier le socialisme français, et plus particulièrement la social-démocratie française, c’est-à-dire l’aile la plus modérée du socialisme français, celle qui est surtout prête à gouverner ou du moins qui n’a jamais eu peur d’assumer pleinement le pouvoir.
C’est cette démarche que j’ai voulu poursuivre avec cet ouvrage. Par ailleurs, je trouvais que la figure de Pierre Mauroy m’inspirait une certaine sympathie. C’était un personnage qui semblait relativement chaleureux, doté d’une grande force de conviction. J’appréciais également son rôle d’édile local en tant que maire d’une grande ville française qu’il a su transformer. En effet, malgré la désindustrialisation, le chômage et de nombreux problèmes sociaux, il a fait de cette ville l’un des principaux pôles urbains de France aujourd’hui.
Y avait-il une raison particulière pour écrire sur Pierre Mauroy après Michel Rocard ?
Il n’y a pas de raison particulière mais disons que cela s’inscrivait dans la même logique, dans la continuité de mon travail. J’avais envie de poursuivre ce cheminement à travers les grandes figures du socialisme et du gouvernement. Ce qui est intéressant, c’est que l’historien cherche toujours la nouveauté, ce qui n’a pas encore été fait. Or, dans ce cas précis, il n’existait pas encore de biographie véritablement historique de Pierre Mauroy. Il y en avait bien une, mais plus courte et davantage militante.
De plus, un autre aspect important est que l’historien travaille avec des sources. Il y avait un grand nombre d’archives à disposition puisque Pierre Mauroy avait déposé l’ensemble de ses documents à la Fondation Jean Jaurès qu’il avait lui-même créée. Tout cela était donc facilement accessible et il faut d’ailleurs les remercier car c’est grâce à eux que j’ai pu mener un travail réellement approfondi.
Pourquoi avez-vous intitulé votre biographie « Pierre Mauroy – le dernier socialiste » ?
Effectivement, c’est une question intéressante, alors par provocation, j’aime bien un peu titiller. À l’origine, je voulais appeler Michel Rocard « l’apolitique », parce que je trouvais qu’il était un homme politique un peu paradoxal. Avec Pierre Mauroy, je trouvais intéressant qu’il ait incarné, sans doute le dernier à le faire, dans le socialisme de la deuxième moitié du XXe siècle, l’héritage socialiste du XIXe siècle, c’est-à-dire le socialisme ouvrier, le socialisme du Nord, un socialisme ancré dans la société civile, avec des relais très importants dans le monde associatif et dans le syndicalisme. Le socialisme de la deuxième moitié du XXe siècle, surtout à partir des années 1970-1980, s’est un peu éloigné de ce profil, avec beaucoup plus d’énarques et de personnalités devenues de véritables professionnels de la politique, qui ont choisi le socialisme, parfois parce que c’était, à un moment donné, un moyen d’accéder au pouvoir.
On ne peut vraiment pas dire cela de Pierre Mauroy. Il est né socialiste, a adhéré au Parti Socialiste dès sa majorité, est devenu responsable des Jeunesses socialistes, et il est resté socialiste jusqu’à sa mort, jusqu’à se faire enterrer dans le cimetière où reposent tous ses prédécesseurs, socialistes, maires de Lille.
Avez-vous eu l’opportunité de rencontrer Pierre Mauroy ? Dans le cas contraire, quelle question auriez-vous posée à sa place ?
Je l’ai croisé une seule fois, en 2011, lors de l’anniversaire de la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle. Si je ne me trompe pas, c’était le 30e anniversaire de 1981. Il y avait un colloque à Sciences Po où Pierre Mauroy était venu témoigner. Il était déjà très âgé et assez fatigué à ce moment-là, mais je me souviens qu’il avait pris la parole. Par la suite, nous sommes allés visiter Solférino qui était encore ouvert à l’époque et restait le siège du Parti Socialiste. Il y avait une certaine effervescence autour de cet anniversaire de 1981 et de Solférino, car le Parti Socialiste était aux portes du pouvoir. Nous étions un an avant 2012, à l’approche de la victoire de François Hollande, et l’ambiance laissait présager que le vent tournait en cette direction. C’est un moment qui m’a marqué.
Je n’ai pas de réponse à cette question, je dois avouer que je ne me l’étais jamais posée jusqu’à présent, mais elle est évidemment pertinente. Peut-être pourrait-on se demander pourquoi il a renoncé à se présenter à l’élection présidentielle. C’est une question à laquelle il n’a jamais vraiment apporté de réponse claire. François Mitterrand lui avait suggéré, en 1994, après la défaite des socialistes aux législatives, qu’il y avait un moment d’incertitude sur l’identité du candidat pour l’élection présidentielle de 1995. Michel Rocard aurait aimé l’être, mais après les européennes de 1994, il n’était plus en position de force. Ce sera finalement Lionel Jospin qui se lancera, mais assez tard, pas avant janvier 1995. À l’automne 1994, Jacques Delors était également pressenti, mais il renoncera. Pierre Mauroy aurait pu être candidat, mais il n’a pas souhaité se lancer dans la bataille, nécessitant une volonté certaine qu’il n’a pas manifestée.
Pensez-vous que c’est un regret ?
Non, je ne pense pas. D’ailleurs, il a toujours affirmé qu’il avait privilégié sa ville, car l’élection présidentielle de 1995 était immédiatement suivie des élections municipales. Cela signifiait que s’il avait été candidat à l’élection présidentielle, il n’aurait pas pu se représenter comme maire. La ville aurait probablement basculé à droite, car l’opposition y était très forte à ce moment-là. D’ailleurs, l’élection de 1995 a été très serrée. Je pense donc qu’il a véritablement privilégié sa mairie.
De plus, son ambition la plus grande était sans doute de diriger le Parti Socialiste. Comme je l’ai dit plus tôt, c’était avant tout un socialiste. Et finalement, il a pu diriger le parti entre 1988 et 1992, ce qui, pour lui, représentait vraiment le Graal.
Quelle perception les Français avaient-ils de Pierre Mauroy en tant qu’homme politique ?
La perception de son époque a été variable. Au départ, elle était très positive, notamment en 1981. Puis, elle s’est dégradée au fil du temps, notamment en lien avec la politique de rigueur. Aujourd’hui, la vision qu’en ont les Français est plutôt positive, surtout à Lille, où son image reste très forte, car il a été maire de la ville pendant plus de 20 ans. Il l’a largement façonnée et transformée, en en faisant un des grands pôles urbains et européens, comme je le mentionnais précédemment. Cela reste très marquant.
Cependant, le souvenir de Pierre Mauroy est plus évanescent, notamment pour la plus jeune génération, même si certaines exceptions peuvent exister. Cela s’explique par la distance temporelle — cela remonte désormais à 40 ans —, mais aussi par le fait que le socialisme qu’il incarnait, ancré dans le XXe siècle, est assez différent de la vie politique actuelle, et particulièrement de la gauche d’aujourd’hui. De nombreuses questions majeures dans l’agenda politique actuel n’étaient pas nécessairement centrales à son époque, que ce soit l’importance des luttes pour les droits des femmes ou des questions aussi cruciales que l’environnement.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’a rien fait en faveur de ces causes. Par exemple, sur le plan environnemental, il a contribué en nommant des ministres issus des mouvements écologistes pour la première fois. Du côté des droits des femmes, il a également beaucoup agi, notamment avec sa ministre Yvette Roudy. On oublie souvent qu’il a joué un rôle important dans le remboursement de l’IVG. Certes, la légalisation de l’IVG est due à Simone Veil, mais le remboursement n’a été mis en place qu’à partir du mandat de François Mitterrand, et c’est Pierre Mauroy, avec Yvette Roudy, qui l’ont imposé à Mitterrand, qui y était initialement opposé.
Comment Pierre Mauroy gérait-il ses relations avec l’opposition durant son mandat de Premier ministre ?
Il existe en effet une différence assez nette entre Pierre Mauroy, Premier ministre, et Pierre Mauroy, maire de Lille. À Lille, il a toujours cherché à établir une forme de consensus – même si ce serait exagéré de le dire – et à entretenir de bonnes relations, disons, avec la droite, notamment avec son principal opposant des années 1970, Norbert Ségard, avec qui il avait d’excellentes relations. Cela a également été le cas par la suite, jusqu’aux années 90.
En tant que membre du gouvernement, il va faire face à une droite revancharde, qui n’a pas vraiment digéré la défaite de 1981, laquelle a été très serrée. Cette droite estime qu’on lui a en quelque sorte volé sa victoire et son pouvoir. Elle manifeste rapidement une hostilité très forte, ainsi qu’une volonté de blocage. Cela se manifestera lors des nationalisations, où un nombre incalculable d’amendements sera proposé pour tenter de freiner le processus.
Face à cette droite, Pierre Mauroy se montrera très ferme, mais il ne sera jamais insultant ou violent, contrairement à certains membres du Parti Socialiste. Il convient de rappeler qu’en 1981, lors du congrès de Valence, certains socialistes appelaient à « couper des têtes » ou expliquaient aux membres de la droite qu’étant minoritaires, ils n’existaient pas. Pierre Mauroy ne s’est jamais exprimé de cette manière.
Est-ce que vous pensez que Pierre Mauroy était un homme violent dans ses propos ?
Ni dans ses propos, ni physiquement. Ce n’était vraiment pas son attitude. Pourtant, c’était un personnage imposant, mais il a toujours cherché une solution politique à tous les problèmes.
Quelles étaient les relations de Pierre Mauroy avec Michel Rocard et François Mitterrand ? Quels étaient leurs points communs et leurs désaccords ?
Les trois partagent une volonté commune : amener le socialisme au pouvoir. François Mitterrand privilégie la conquête du pouvoir, quitte à s’éloigner parfois des idéaux, bien qu’il ait des principes solides, comme son engagement pour l’Europe et la République. Pierre Mauroy et Michel Rocard, proches sur le plan politique et amis de longue date, ont suivi des trajectoires similaires. Mitterrand, issu d’un milieu conservateur, se distingue par son ambition, alors que Mauroy, de milieu populaire, privilégiait l’action gouvernementale sans viser la présidence. Rocard, quant à lui, venait d’un milieu plus bourgeois et parisien, contrairement à Mauroy, profondément ancré dans le monde ouvrier.
Quelle était la relation entre Pierre Bérégovoy et Pierre Mauroy ?
Les relations entre Pierre Mauroy et Pierre Bérégovoy n’étaient pas mauvaises, mais sans grande camaraderie. Bérégovoy, bien qu’ancien de la SFIO, l’avait quittée pour suivre Pierre Mendès France au PSA, créant ainsi une rupture. Le cercle proche de Mauroy était composé de socialistes des années 1950-1960, passés par les jeunesses socialistes, la SFIO et les clubs qu’il avait fondés, comme Léo Lagrange et le CEDEP. Bérégovoy, après son passage auprès de Mendès France, rejoignit le PS et devint rapidement un des proches de François Mitterrand.
Si vous deviez choisir trois mots pour qualifier la carrière politique de Pierre Mauroy, lesquels seraient-ils ?
Le premier mot est gouvernement, car Pierre Mauroy était un homme qui avait véritablement l’ambition de gouverner, et de gouverner sur le long terme. Son objectif était de permettre à la gauche, pour la première fois, de se maintenir durablement au pouvoir. Jusqu’alors, les expériences de gouvernance de gauche avaient toujours été éphémères. Le Front Populaire, par exemple, bien qu’il ait laissé un souvenir indélébile, n’a duré qu’un peu plus d’un an. De même, sous la Quatrième République, les expériences de gauche, si tant est qu’on puisse les qualifier ainsi selon la vision de Pierre Mauroy, ont été très brèves. La plus marquante, celle de Guy Mollet, n’a pas laissé une impression particulièrement positive.
Jusqu’à cette époque, la gauche n’avait jamais gouverné longtemps. Dès le début, Pierre Mauroy affichait clairement sa volonté de gouverner dans la durée. Il aspirait à avoir cinq ans devant lui pour mener à bien son projet. Et c’est précisément ce qu’il a réussi à accomplir. Malgré des crises majeures, telles que la mise en place des plans de rigueur en 1982 et 1983, il a su surmonter ces difficultés pour permettre à la gauche de rester au pouvoir jusqu’aux élections législatives de 1986, tout en préparant le terrain pour la réélection de François Mitterrand en 1988.
Le deuxième mot est Lille, car Pierre Mauroy est inextricablement lié à cette ville. Il a profondément transformé Lille et, par la même occasion, c’est cette ville qui lui a permis d’accéder à la fonction de Premier ministre. Bien qu’il ne soit pas natif de Lille – il venait du sud du département du Nord – c’est en 1971, lorsque le maire de Lille lui a demandé de lui succéder, que sa carrière a pris un tournant décisif. Lille est donc un élément central de son parcours.
Le troisième mot est socialisme, car cet engagement politique fait partie intégrante de son identité. Pierre Mauroy s’est toujours vu comme un maillon dans la chaîne du socialisme. Il s’inscrivait dans la continuité du socialisme historique, celui de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, marqué par les grands combats pour la libération et la protection de la classe ouvrière. Mais il était également porteur d’un socialisme plus moderne, tourné vers l’Europe, vers les banlieues et les politiques urbaines. Mauroy incarnait ainsi une synthèse entre ces deux visions du socialisme.
Après avoir rédigé sur Michel Rocard et Pierre Mauroy, quel sera le prochain sujet de votre biographie ?
Je ne sais pas si je ferai une biographie par la suite. Pour l’instant, il serait déjà bien que j’arrive à terminer mon HDR, c’est-à-dire mon habilitation à diriger des recherches. C’est ce que l’on fait après la thèse, afin de pouvoir un jour postuler à des postes de professeur d’université. C’est mon objectif principal pour le moment, et je peux déjà vous le dire, ce n’est pas un secret.
Cela porte sur les cohabitations. Je réalise une étude comparative des trois cohabitations et j’essaie également de les comparer à d’autres exemples internationaux. C’est là-dessus que je travaille et pour cela, je consulte pas mal d’archives. J’ai aussi un projet qui concerne François Mitterrand. Cependant, si demain j’ai de nouveau la possibilité de faire des biographies, il faut trouver le temps de travailler.
On se dit souvent que ce serait génial de faire ci ou ça, mais ensuite, on s’aperçoit qu’en réalité, écrire un livre prend un minimum de cinq ans. En l’occurrence, c’est le temps qu’il m’a fallu pour celui-ci, et c’est aussi le temps qu’il m’avait fallu auparavant pour le livre sur Michel Rocard. À chaque fois, il faut être conscient qu’on se lance dans quelque chose dont on ne sait pas trop quand on va sortir.
Cela dit, j’ai d’autres idées qui m’intéressent. Si jamais je devais écrire des biographies, j’ai travaillé il y a quelques mois sur Pierre Bérégovoy. Je me suis dit que ce serait vraiment intéressant de faire une étude plus approfondie sur lui, tout en essayant de comprendre comment l’ascenseur social de l’époque a si bien fonctionné qu’il a permis à quelqu’un venant d’un milieu ouvrier, lui qui a été ouvrier dans sa jeunesse, de devenir Premier ministre.
Il est aussi crucial de comprendre le drame de Pierre Bérégovoy et ce que cela nous révèle sur le début des années 1990, la place des médias, l’influence de la rumeur sur la population, et la dureté psychologique de l’univers politique. À mon avis, tout cela est représentatif de Pierre Bérégovoy.
Concernant Édith Cresson, j’ai eu l’occasion de la rencontrer et de l’interviewer dans un autre cadre. Je pense qu’il serait vraiment intéressant de comprendre ce qui s’est passé, pourquoi cela n’a pas fonctionné, et pourquoi la première femme Premier ministre a été confrontée à un tel torrent de violence et de boue de la part des médias, en particulier des médias satiriques. Je pense notamment au « Bébête Show », mais aussi aux « Guignols de l’Info ». J’ai eu l’occasion d’écrire un article à ce sujet, où j’expliquais à quel point les attaques à son égard ont été extrêmement violentes et profondément sexistes.
C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup, surtout dans le cadre plus large de la question des femmes en politique. Par ailleurs, on pourrait étendre cette réflexion à bien d’autres sujets, car il y a plein de choses intéressantes à explorer. Le genre biographique me plaît énormément. Cependant, il faut aussi essayer de ne pas s’y cantonner et se bousculer soi-même, se mettre un peu en difficulté. Cela dit, j’apprécie vraiment ce genre ; j’aime raconter des histoires et des parcours de vie, du début jusqu’à la fin, en passant par la naissance et l’enfance, tout en cherchant à comprendre la suite, jusqu’aux dernières années.
Est-ce que l’héritage à Pierre Mauroy existe encore aujourd’hui ?
Je n’ai pas mentionné Lille comme une priorité, mais c’est évidemment un des aspects les plus importants. La transformation du vieux Lille, par exemple, est largement attribuable à l’ambition de Pierre Mauroy. Cependant, une partie de son action a disparu depuis.
Alors, en partie. Je ne reviens pas sur Lille, car c’est très concret et toujours d’actualité. Toutes les infrastructures qui ont été créées à son époque sont encore présentes aujourd’hui.
On a parlé de la réforme de la durée du travail, qui a été abaissée à 35 heures puis assouplie à plusieurs reprises. La réforme des retraites à 60 ans a également été remise en cause à plusieurs reprises, notamment sous Nicolas Sarkozy et François Fillon. Néanmoins, beaucoup de choses demeurent.
Nous avons évoqué l’abolition de la peine de mort tout à l’heure, ainsi que les droits des femmes, qui ont été renforcés par la suite. Du point de vue de la politique étrangère, il y a de nombreux éléments qui restent dans la continuité de cette période, même si, évidemment, le contexte a changé. Ce n’est plus le temps de la guerre froide ; nous sommes désormais dans une ère différente. Toutefois, il existe toujours une base de réformes sociales qui continue à influencer la situation actuelle, servant au moins de modèle pour la gauche.
Que souhaitez-vous que les lecteurs retiennent de votre biographie de Pierre Mauroy ?
C’est une bonne question. Tout, de préférence. C’est-à-dire 400 pages, ce serait bien, et après ils pourraient le réciter par cœur. Ce serait vraiment idéal, comme les aèdes de l’époque contemporaine.
Non, plus sérieusement, j’aimerais qu’ils retiennent un bilan politique, car c’est tout de même un moment majeur. C’est le gouvernement qui a le plus accompli en termes de réformes et d’avancées sociales depuis 1945. C’est le deuxième grand moment de réforme sociale majeure de la Ve République. Cela, à mon avis, est essentiel et est d’ailleurs encore bien présent aujourd’hui dans les consciences, que ce soit les 39 heures, la retraite à 60 ans, l’abolition de la peine de mort ou la décentralisation. Tout cela reste dans les mémoires mais n’est pas forcément attribué à Pierre Mauroy. On a plutôt tendance à l’associer à François Mitterrand, évidemment, qui était président et qui a porté ces réformes, étant élu sur ce programme. Cependant, le maître d’œuvre au quotidien et dans l’exécution, c’est vraiment Pierre Mauroy, car il a dirigé son gouvernement d’une main de maître. C’est un élément important à souligner.
La transformation de Lille est également à retenir. Cette transformation est souvent oubliée quand on voit le Lille d’aujourd’hui mais elle est spectaculaire. Lille faisait face, dans les années 1970, à toute une série d’articles de presse catastrophiques qui la présentaient comme la ville la plus glauque de France. Aujourd’hui, Lille est une ville extrêmement attractive, plaisante à vivre et qui, de plus, est interconnectée à l’échelle européenne, comme aucune autre ville en France puisqu’elle est véritablement la plateforme entre Londres et tout l’axe rhénan et belge.
Il y a maintenant l’Eurostar que Pierre Mauroy a obtenu grâce à sa détermination, car la SNCF ne voulait pas du tout que l’Eurostar, ou en tout cas la gare de TGV moderne, passe par Lille. C’est lui qui s’est battu pour que cette gare soit véritablement implantée au centre de Lille. Cela constitue un autre élément majeur.
Enfin, le troisième point pourrait être l’importance du socialisme dans l’histoire du XXe siècle. Cela a été le courant de gauche dominant de ce siècle et, contrairement au communisme, c’est vraiment celui qui a permis à la gauche d’accéder au pouvoir et d’assumer la gouvernance tout en transformant la vie des Françaises et des Français. Je crois que cet héritage de Pierre Mauroy est essentiel.