Yves Dauge


« L’État dans sa permanence »

Yves Dauge

Quelques jours après le 21 mai 1981, j’entrais au cabinet de Pierre Mauroy en charge de l’urbanisme et de l’architecture. C’est Robert Lion, qui venait d’être nommé directeur du cabinet du Premier Ministre, qui m’avait proposé. Sa réputation était grande dans la haute administration, dans les milieux professionnels de la construction et de l’architecture. Inspecteur des Finances, il avait été membre du cabinet d’Edgard Pisani, ministre de l’Équipement, puis directeur de la Construction et délégué général de l’Union des fédérations de l’habitat social.

Pierre Mauroy s’entoure des « Nordistes », une équipe qui l’accompagne déjà dans le Nord à Lille. On y trouve au premier rang Michel Delebarre dont on sait le rôle important qu’il jouera. On y trouve aussi des personnalités comme Jean Saint-Geours, Stéphane Hessel ou Jean-Claude Casadesus. De son côté, Robert Lion propose des noms. Pierre Mauroy lui fait confiance. C’est Bernard Brunhes qui occupera le poste si important de conseiller social. Il le fera avec talent et l’estime des syndicats. C’est Jean Peyrelevade, un proche de Pierre Mauroy qui devient directeur adjoint du cabinet. Avec Robert Lion, il apporte une compétence et une crédibilité bien nécessaire vis-à-vis du monde économique et financier qui s’inquiète. Et puis, il y a le secteur du logement, de l’urbanisme, de l’architecture, de l’environnement, domaines si chers à Robert Lion. Il appelle Michel Dresch et Dominique Alduy ses compagnons de route au ministère de l’Équipement.

À Matignon les bureaux sont vides. L’équipe précédente qui est partie n’a rien laissé. La passation des pouvoirs, des témoins, ne s’est pas vraiment faite dans l’esprit républicain qu’on aurait pu espérer. Pourtant, le Premier Ministre Raymond Barre est un homme respectable mais la rupture politique a été trop forte, avec trop de tensions.

En revanche, dans ces premiers jours de mai à Matignon, la plupart d’entre nous avons découvert ce qu’était l’État, sa force, sa pérennité, grâce à la remarquable compétence et disponibilité des fonctionnaires du Secrétariat général du gouvernement. Cette parfaite organisation du service public au plus haut niveau sait faire fonctionner la machine administrative dans le cadre réglementaire et le respect des procédures. Le fonctionnement de l’État est ainsi parfaitement assuré. C’est Marceau Long, le directeur du SGG, et son adjoint Dieudonné Mandelkern qui nous donnent cette magnifique leçon de ce qu’est l’État dans sa permanence. Ils sont à l’écoute du Premier Ministre et de ses conseillers. Une relation de confiance et d’estime réciproque s’instaure dans le respect des rôles de chacun. À part quelques rares cas, la haute administration et l’ensemble des fonctionnaires sont à leur place et respectés. Certes, ceux qui étaient les plus proches du gouvernement précédent prennent le recul nécessaire et d’autres arrivent à leur place. Mis à part quelques dérapages au niveau du Parti socialiste — l’appel à « couper des têtes » au congrès de Valence —, il n’y a pas eu de chasse aux sorcières et au contraire une stabilité qui fait honneur au modèle républicain. J’ai pu moi-même m’en rendre compte lorsque je me suis trouvé un an plus tard à la direction de l’Urbanisme et des Paysages, puissante administration de plus de
600 fonctionnaires à qui on a demandé d’opérer une décentralisation qui bouleversait leur rôle et leurs habitudes de travail. Ils ont parfaitement accepté et mis en œuvre cette profonde réforme.

À Matignon, nous découvrons aussi l’exceptionnelle personnalité de Pierre Mauroy. C’est un homme calme et bienveillant qui porte une autorité naturelle. Il représente pour nous tous une grande histoire, celle du Parti socialiste qu’il incarne. Il n’a pas besoin de le rappeler. Il agit avec fermeté pour entreprendre les grandes réformes, tout en ayant le souci de ne pas entretenir un esprit de règlement de comptes. Il est conscient qu’une droite et une partie de l’opinion considèrent ce gouvernement comme illégitime. Sa vaste expérience d’élu, de maire de Lille lui permettra, avec son conseiller Michel Delebarre et le puissant ministre de l’Intérieur qu’est Gaston Deferre, maire de Marseille, de mener à bien en quelques mois une décentralisation très profonde dont on a oublié aujourd’hui combien elle était techniquement difficile et surtout, un vrai défi politique.