Discours de François Hollande


Inauguration de la rue Pierre Mauroy à Paris, 8 novembre 2022

Chers amis,

Nul ne s’étonnera qu’une rue, dans notre capitale, porte le nom de Pierre Mauroy, surtout dans ce 18ème populaire. C’est la figure de l’homme d’Etat qui est ainsi rappelée aux passants, le Premier ministre de la retraite à 60 ans quand l’espérance de vie des ouvriers ne dépassait guère 70 ans en 1981, le Premier ministre de la 5 ème semaine de congés payés, lui qui se réclamait de Léo Lagrange et du Front Populaire, le Premier ministre de la décentralisation, lui qui voulait, comme maire de Lille, parler d’égal à égal avec Paris.

Mais l’appellation de cette rue évoquera surtout aux Parisiens une vie militante consacrée entièrement à l’intérêt général. C’est en ce sens qu’il appartient à l’Histoire, non seulement de la Gauche mais à celle de la République.

Car Pierre Mauroy était bien le plus social-démocrate des socialistes français.

Social-démocrate, il l’était par son parcours, d’abord syndicaliste à la Fédération de l’Education Nationale (FEN), puis responsable associatif dans cette grande fédération Léo Lagrange, élu local (à Cachan) pour mieux servir au plan national son idéal politique à la SFIO d’abord, puis au PS. Il ne séparait pas un engagement des autres. Tout faisait bloc. C’est dans ce sens qu’il avait cette cohérence. Il était possible de faire du syndicalisme et de la politique, d’être élu local et d’être aussi un dirigeant national.

Social-démocrate, il l’était par ses idées, partisan du compromis social et de la négociation collective, convaincu qu’il fallait créer des richesses pour mieux les partager, farouche décentralisateur (on lui doit la loi de 1982), soucieux de justice fiscale (il avait inventé l’Impôt sur les Grandes Fortunes, IGF qui deviendra l’ISF), il était aussi un Européen déterminé dans la perspective de construire un espace social et démocratique.

Social-démocrate, il l’était par son courage, c’est au nom de l’Europe qu’il refuse, en mars 1983, la sortie du franc du Système Monétaire Européen (SME) et qu’il assume la rigueur pour juguler l’inflation (qui était alors à près de 15%) au prix de la désindexation salariale.

C’est au nom de la préparation de l’avenir qu’il engage les grandes restructurations industrielles (dans les mines, dans la sidérurgie) au risque de désemparer une partie des électeurs et travailleurs de sa région. Il doit convaincre qu’en faisant ce choix, il mettra cette région dans la modernité, accueillera de nouvelles industries qui apporteront ensuite de nouvelles activités et créeront de nombreux emplois.

Social-démocrate, il l’était par ses amitiés : Willy Brandt, Olof Palme ont été ses références et modèles, Felipe Gonzales, Mario Soares ses amis qu’il avait soutenus dans leur lutte contre les dictateurs puis accompagnés dans leur construction de nouvelles démocraties européennes. C’est ce modèle social-démocrate qu’il avait à l’esprit lorsqu’il a été élu président de l’Internationale Socialiste en 1992 avec le projet d’accueillir les nouveaux partis issus des pays communistes qui s’écroulaient. Il imaginait comme une convergence, une forme d’espace qui se créerait où la démocratie l’emporterait face aux totalitarismes.

De ce point de vue, et il n’est pas le seul, nous nous sommes trompés. Non la bataille entre la démocratie et les régimes autoritaires n’est jamais finie et la démocratie est toujours la cible des régimes autoritaires. Le fait nouveau est que la bataille pour la démocratie se mène aussi dans les pays de liberté. Il y existe une menace qui vient non seulement de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. Ce sont les principes mêmes de la démocratie qui se trouvent remis en cause. Regardons ce qui se passe aux Etats-Unis en ce moment. Et cela, je pense que Pierre Mauroy l’avait aussi à l’esprit.

Social-démocrate, il l’était aussi dans l’exercice de ses mandats (d’ailleurs nombreux), par son tempérament infatigable, par son mode de vie (d’ailleurs modeste avec Gilberte et Fabien), sa sympathie, sa faconde chaleureuse, ses discours (souvent interminables). Il logeait la finesse de son intelligence dans le coffre d’un corps impressionnant. Il savait que ce sont les idées qui décident de tout. C’est cela qui l’avait conduit à prendre la présidence de la Fondation Jean Jaurès – où le remplace aujourd’hui Henri Nallet – parce qu’il savait que les débats d’idées peuvent aussi préparer les alternances de demain.

Social-démocrate enfin, il l’était par ses fidélités, à sa ville de Lille, au monde ouvrier, à ses engagements militants, à François Mitterrand, à Lionel Jospin premier Ministre et à moi-même. Fidélité aussi à son parti dont il se désespérait des divisions, des surenchères mais qu’il encourageait à se transformer, à s’élargir, à s’affirmer. C’est ainsi qu’il pratiquait l’union de la gauche.

Comme beaucoup de provinciaux ambitieux, Pierre Mauroy est monté à Paris. Venant du Nord, il était plus exactement « descendu » à Paris ! Et si dans le Nord et à Lille, il a exercé ses mandats, c’est à Paris, dans la capitale, qu’il a accompli son destin. Il y a travaillé, il y a habité, il y a gouverné (à Matignon), il y a siégé (35 ans de vie parlementaire), il y a servi le bien commun.

Ainsi, toutes les Parisiennes et tous les Parisiens qui emprunteront cette rue, la rue Pierre Mauroy, doivent savoir que même s’ils sont perdus, ils seront toujours sur « le bon chemin ».